B. Studer u.a. (Hrsg.): Le droit d’être suisse

Cover
Titel
Le droit d’être suisse. Acquisition, perte et retrait de la nationalité de 1848 à nos jours


Herausgeber
Studer, Brigitte; Arlettaz, Gérald; Argast, Regula
Erschienen
Lausanne 2013: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
261 S.
Preis
URL
von
Sylviane Klein

Cet ouvrage constitue le prolongement du programme national de recherche intitulé «Intégration et exclusion» (PNR 51). Il examine la politique de naturalisation suisse depuis la création de l’État fédéral jusqu’à nos jours. Après l’introduction permettant la compréhension méthodologique, historique et conceptuelle de l’ouvrage , Regula Argast se penche sur l’évolution du droit de cité suisse entre 1848 et 1898 et l’importance de ces changements pour l’État, la société et les individus. La naissance de l’État fédéral en 1848 voit apparaître un principe de nationalité unique en son genre, le triple droit de cité communal, cantonal et fédéral qui inclut aussi les droits et devoirs des citoyens. Les droits civiques suisses y sont plus étendus que dans la plupart des États d’Europe. L’égalité des droits ne concerne cependant que les hommes suisses de confession chrétienne. La Suisse est caractérisée à cette époque par un pouvoir fédéral faible. La naturalisation, jusqu’en 1874, relève de la compétence des cantons. Les communes y sont largement associées, les droits civiques étant liés au lieu d’établissement des citoyens. Cependant, concrètement, le libre établissement déclaré par la nouvelle constitution n’est reconnu ni aux femmes, ni aux juifs (jusqu’en 1866), ni aux nécessiteux, ni aux personnes de mauvaise réputation ou ayant subi une condamnation. Et les Suisses naturalisés doivent attendre cinq ans pour en bénéficier.

En 1850, la Suisse compte à peine 2,4 millions d’habitants, dont seulement 3% d’étrangers. À cette époque, notre pays connaît un solde migratoire négatif, engendré par le paupérisme qui sévit à cette époque. Entre 1837 et 1850, alors que notre pays accueille 16000 immigrants, quelque 35000 personnes quittent la Suisse. La situation est particulièrement précaire pour les heimatloses, privés de droit de cité cantonaux et communaux, donc privés d’assistance. L’assistance aux pauvres était confiée aux communes d’origine. Ainsi les communes veillaient scrupuleusement à maintenir aussi bas que possible le nombre des personnes qui pourraient y avoir droit. Il s’agit là du principal frein à l’obtention du droit de cité suisse. Cependant, l’émigration dépassant l’immigration, la population étrangère n’est pas perçue à cette époque comme un problème quantitatif ou culturel, financier ou juridique.

En Suisse l’attribution du droit de cité à la naissance se fonde sur le principe du droit du sang. La Constitution de 1848 a repris sans discussion ce principe en vigueur jusque-là. L’auteure l’interprète comme l’expression de l’autonomie des communes et des cantons en vue de préserver leur contrôle sur le partage de leurs biens. Ce principe garantit également l’inaliénabilité du droit de cité suisse permettant ainsi aux Suisses de l’étranger de revenir en tout temps au pays au titre de Suisses.

Une loi fédérale de 1850 a permis la naturalisation jusqu’en 1872 de 25000 à 30000 heimatloses. La Constitution de 1874 a engendré la première loi fédérale sur la naturalisation deux ans plus tard. Le droit de naturalisation entre autres y est étendu aux épouses et aux enfants. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Confédération n’interviendra que modestement dans les processus de naturalisation. Son autorisation est cependant requise, mais l’examen de la moralité des candidats reste confié aux cantons et aux communes. Dans le chapitre suivant, Gérald Arlettaz se pose la question de la notion d’assimilation comme but de l’octroi de la nationalité dans les années 1898-1933.

Le tournant du XXe siècle est marqué par une forte augmentation de la population étrangère et la naissance d’une idéologie nationaliste. Pour la première fois en 1898, un conseiller national radical évoque «un danger démographique, social et politique». D’importantes réformes constitutionnelles et législatives modifieront les conditions de naturalisation. La Confédération reprend cette compétence aux cantons. Le concept de devoir d’«assimilation» pour les étrangers deviendra récurrent dans la première moitié du XXe siècle. Un Office central de police des étrangers est institué en 1917 qui met en place un contrôle et une régulation de l’entrée des étrangers. Cette politique aboutit en 1931 à la première loi sur l’établissement et le séjour des étrangers. Outre le développement du sentiment d’identité nationale, le jeune État fédéral connaît d’importants défis liés au développement économique et à l’évolution du rôle social de l’État. La Suisse connaît un tournant vers une société dite moderne. L’augmentation du nombre des étrangers (14,7% en 1910) fait débat dans toutes les couches de la société et dans la presse et devient source de division. Il en résulte une tension croissante entre le phénomène migratoire nécessaire à l’économie et le processus d’intégration nationale. Le discours sur la «surpopulation étrangère» se radicalise. La naturalisation est onéreuse et compliquée. À la lumière des chiffres, Gérald Arlettaz constate que mentalité et statistiques divergent complètement. Il analyse dans ce chapitre les débats autour des modifications législatives.

La question du droit du sol, en opposition au droit du sang, revient régulièrement durant cette période. Après la Première Guerre mondiale, l’augmentation des demandes de naturalisation pour des motifs économiques renforce l’exigence d’être «assimilé» pour devenir citoyen suisse. Le concept d’«assimilation» se réfère à une vision politique de la société suisse. Il implique que l’étranger fasse siennes un certain nombre de valeurs politiques, civiles, sociales et culturelles. La révision de la loi de 1903 verra s’opposer fortement la gauche – qui juge la politique du Conseil fédéral «réactionnaire» – et la droite. Elle n’empêchera pas la politique envers les étrangers de se durcir progressivement.

Brigitte Studer analyse les changements de la politique de naturalisation entre 1934 et 2004, passant d’une conception restrictive à une politique d’intégration. Exclusion des «indésirables» et sélection des «assimilables», la lutte contre la surpopulation étrangère devient la mission de la police des étrangers des années 1930 aux années 1950. L’évocation d’un «risque de surpopulation étrangère» permet de justifier une régulation politique à la fois quantitative et qualitative. Entre les deux guerres, les conditions de naturalisation deviennent de plus en plus sévères. Cette politique est principalement dirigée contre les juifs. Durant la Seconde Guerre, la politique de contrôle et de régulation des étrangers se durcira encore. Elle n’épargne pas les Suisses eux-mêmes. Pour la première fois, la possibilité de déchoir un Suisse de sa nationalité est ancrée juridiquement. On est dans une logique d’exclusion. Le nombre de naturalisations baisse durant la guerre, puis stagne après celle-ci.

Contrairement aux craintes des autorités, l’économie suisse se met à tourner à plein régime après la guerre. Pour la première fois, les autorités organisent l’immigration massive de travailleurs en Suisse, en majorité des Italiens; Allemands et Autrichiens n’étant pas encore autorisés à sortir de leur pays. Pour les autorités et le public, cette nouvelle population d’immigrés doit être transitoire. Les droits de ces tra vailleurs – sévèrement contrôlés – sont limités et discriminatoires.

La nouvelle loi fédérale de 1952 sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse durcit la réglementation de la naturalisation pour les étrangers (durée de résidence augmentée à 12 ans, introduction d’un examen d’aptitude à être naturalisé pour évaluer le degré d’«assimilation» du candidat). Par contre, cette réforme permet la naturalisation facilitée des enfants de Suissesses par naissance et permet à celles ayant épousé un étranger de conserver leur nationalité pour autant qu’elles en fassent la demande.

Dans les années 1960, la politique et le discours de la Suisse sur les étrangers se résument quasiment à la question des travailleurs. Leur nombre double de 1958 (262000) à 1965 (561000). Le problème de l’«intégration» des étrangers est aigu et devient une véritable question de société. À partir des années 1970, l’égalité des droits entre hommes et femmes s’impose comme nouvelle norme sociale. Pourtant, entre 1965 et 1974, pas moins de cinq initiatives xénophobes sont lancées par la droite nationaliste qui brandit des scénarios apocalyptiques. Aucune de ces initiatives ne sera acceptée, mais elles bloqueront jusqu’à la seconde moitié des années 1970 toute réforme du droit visant à assouplir et faciliter la naturalisation.

Dans la seconde moitié des années 1970, le discours change un peu et le concept de surpopulation étrangère disparaît. On tente de le contrer par l’« intégration» ou l’«assimilation» des enfants nés en Suisse. Pourtant la récession économique débutée en 1974 mettra un frein à la volonté d’intégration des étrangers. La priorité à la main-d’oeuvre indigène est restaurée. Les étrangers jouent un rôle de tampon conjoncturel.

En 1981, une initiative, bien que largement rejetée, rendra possible pour les travailleurs étrangers le libre choix de l’emploi, l’accès à un permis illimité et le regroupement familial. En 1983, c’est la problématique nouvelle des réfugiés qui fera échouer la naturalisation facilitée.

Cependant, l’évolution du respect de l’égalité des droits entre femmes et hommes verra jusqu’en 1992 diverses mesures abolissant la discrimination envers les Suissesses mariées à un étranger, l’inégalité dans la transmission de la nationalité aux enfants et l’obtention de la nationalité par une étrangère épousant un Suisse. Les années 1990 verront une hausse sensible des naturalisations avec l’introduction naturalisée des époux étrangers de citoyennes et citoyens suisses.

Avec la crise économique des années 1990, l’augmentation du chômage et la hausse des coûts de la sécurité sociale, une forte tendance xénophobe, attisée notamment par l’Union démocratique du centre, refait surface. Cela aura des conséquences sur la hausse des demandes d’obtention du droit de cité suisse. La naturalisation, vue comme un moyen de lutter contre «la pénétration étrangère» est encouragée. D’autre part, la crise économique renforce l’attrait d’un statut de citoyen suisse et des droits qui y sont rattachés. De 6000 en 1990, le nombre de naturalisations a passé à 22700 en 1999 puis 47000 en 2010.

En conclusion, deux logiques antagoniques s’affrontent jusqu’à nos jours: l’adaptation du droit de la nationalité aux besoins d’une société en mutation et le repli nationaliste.

Nicole Schwalbach, dans le chapitre 4, aborde la déchéance de la nationalité durant la Seconde Guerre mondiale. Durant cette période, la Suisse a passé à deux reprises des arrêtés permettant de déchoir de leur nationalité les personnes qui, du point de vue des autorités, mettaient en péril l’indépendance ou la sécurité du pays. Le principe de l’inaliénabilité du droit de cité suisse est suspendu pour une période cependant clairement définie.

L’article de Nicole Schwalbach développe de manière précise et détaillée les diverses argumentations avancées durant cette période et qu’il nous est difficile de résumer ici.

Enfin, dans leurs conclusions, les auteurs reprennent les différentes étapes qui ont jalonné l’histoire du système constitutionnel de naturalisation suisse. De ses débuts libéraux de 1848 jusqu’à la fin de la Première guerre mondiale, suivis de six décennies de plus en plus restrictives jusqu’à la fin des années 1970, pour aboutir à la politique actuelle. Une politique très contrastée, qui montre à la fois des signes de libéralisation et de durcissement, à l’image des représentations populaires actuelles.

Zitierweise:
Sylviane Klein: Brigitte STUDER, Gérald ARLETTAZ †, Regula ARGAST: Le droit d’être suisse, Lausanne: Antipodes, 2013,. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 266-269.

Redaktion
Autor(en)
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 266-269.

Weitere Informationen
Klassifikation
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit